Lettre de la SFA à M. le Préfet de la Corrèze le 8 mars 2018

 

A Mr le Préfet de la Corrèze

 

Clermont-Ferrand le 08 mars 2018

 

Mr le Préfet,

 

Je suis Louis Dubreuil, ingénieur paysagiste, mandaté par la SFA pour essayer d'améliorer la gestion de l'élagage des routes départementales de Corrèze, opération lancée par le Conseil Départemental dans les conditions et avec les conséquences que vous savez.

La SFA est partenaire d'un rassemblement de collectifs et d'associations départementales et nationales et apporte sur l'affaire son expérience technique à l'ensemble des opposants (comme d'ailleurs les professionnels locaux de l'élagage qui sont mobilisés depuis longtemps contre les aberrations techniques imposées par le Département).

 

Dès le début nous avons essayé en vain d'avertir l'exécutif départemental de ce qui nous apparaissait comme une impasse et une catastrophe prévisible. Le Président a fait semblant de nous écouter, s'autoproclamant "amoureux des arbres" et "protecteur des paysages corréziens" !

Nous avons mis rapidement en évidence certains faits :

  • le type d'élagage prôné par l'injonction départementale est stupide, esthétiquement insupportable, met les arbres en danger et peut même les rendre dangereux
  • la distribution du courrier d'injonction s'est faite selon un processus particulièrement aveugle qui ne tient en particulier pas compte de la diversité des situations et aussi de la réalité foncière : beaucoup de propriétaires ont reçu des ordres d'élagages pour des arbres qui appartenaient en fait au département. Beaucoup ont obtempéré et ont donc coupé sans le savoir, et à leurs frais, des arbres dont ils n'étaient même pas propriétaires....
  • en réalité, peu élaguent et la plupart coupent. Le département avait-il anticipé cette réaction ? Les impacts paysagers et environnementaux sont par endroits très importants. Sans parler de la destruction irréversible de la valeur "touristique" des itinéraires routiers concernés.
  • il n'est absolument pas tenu compte ni du Code de l'environnement (Sites, protection de la trame verte et des espèces sensibles...), ni du Code du Patrimoine (protection des MH, de leurs périmètres et de leurs abords), ni éventuellement du Code de l'Urbanisme

 On constate en effet de nombreuses opérations désastreuses sur les arbres dans des Sites protégés et aux abords des MH (Document joint sur le site inscrit de la vallée de la Corrèze et exemples connus et vérifiés sur Gimel les Cascades et Aubazines - mais on ne connait pas tous les cas bien entendu). Exemple encore hier, d'un chantier d'abattage et d'élagage prévu à Soudeilles sans dépôt de la Déclaration préalable obligatoire (chantier piloté par le Département et pas par un particulier).

 

Le mécontentement monte de jour en jour au fur et à mesure que les corréziens découvrent au détour d'une petite route des chantiers apocalyptiques. Les médias s'intéressent au sujet, même des médias nationaux (France Inter).

 

L'analyse que nous faisons de la situation est celle en fait d'un conflit entre divers aspects et acceptions de l'Intérêt Général. Cet intérêt général est garanti par la loi. Les élus, les maires et le président du Conseil Départemental sont bien entendus obligés d'œuvrer pour garantir dans toutes leurs actions le respect de cet Intérêt Général qui est composé de divers compartiments. En l'occurrence on peut constater ici que le Département ne voit en fait l'Intérêt Général que par l'aspect "routes et réseaux", tous les autres volets sont soigneusement ignorés. Il y a bien entendu une bonne gestion des routes à assurer, le projet THD est cohérent et ambitieux. Mais ce n'est pas une raison pour ignorer tout le reste. En regardant les professions de foi des conseillers départementaux et des maires qui ont remporté l'élection, je n'ai vu personne dire que son projet était de ravager le département au nom de la modernité et de la préservation du goudron !

 

Et si on passe à la loupe les raisons techniques invoquées, la " goutte qui tombe des feuilles et ruine les enrobés" n'est qu'une "fable d'ingénieur" qui n'est étayée par aucune publication scientifique et technique ! Par contre, le fait que les arbres puissent être utiles à la route est soigneusement passé sous silence : ombrage et protection des enrobés contre la chaleur en été, soutènement naturel et gratuit des remblais pour les routes au-dessus de ravins.

 

Par exemple si on coupe ces arbres, la route va immanquablement se déformer suite au pourrissement des racines et à l'arrêt du pompage de l'humidité....ce sont pourtant là les fondamentaux de la conception classique des routes....

 

Par contre bien évidemment il est hors de question de faire porter une quelconque responsabilité de la dégradation de certaines routes par la foresterie industrielle : routes toujours humides ou gelées dans les couloirs de douglas, accotements ravagés par les engins forestier (y compris en ce moment pour l'abattage en bord de route), impact des grumiers.....Toute la responsabilité est concentrée sur les feuillus.... et les gouttes d'eau !

 

Nous pensons donc que, pour sortir de cette machine infernale, il est nécessaire qu'un arbitrage se mette en place, qui remettra les priorités dans le bon ordre. Et pacifiera l'opinion publique qui est passablement troublée.

 

Comme la remise à plat de tous les paramètres sera inévitablement longue et nécessitera l'injection de beaucoup de matière grise dans l'opération, il nous apparaît nécessaire de proclamer rapidement un MORATOIRE sur toutes les opérations de coupes et d'élagages au bord des routes départementales et des vois communales. Viendra ensuite le temps de l'étude avec tous les partenaires qui ont des choses à apporter pour rendre cette opération vertueuse et sensée. Ensuite, à l'automne, l'opération pourrait repartir sur des bases saines, à un rythme plus humain (plusieurs années seront nécessaires pour traiter tous les arbres ou groupements d'arbre au cas par cas, dans le respect des paysages et de la nature). Mais il faudra que le département renonce à beaucoup de choses pour que tout rentre dans l'ordre.....

 

Par rapport au THD, qui impose, selon le Département, ce rythme infernal, on peut aborder la réflexion indépendamment de la "sauvegarde" des routes : les emprises de dégagement des réseaux vis à vis des arbres sont très modestes (pas d'élagage "en drapeau" à prévoir). Il n'y a aucune raison technique ou financière de coupler les deux opérations. Le département n'a pas besoin de s'en mêler, il existe en effet une possibilité de conventions directes entre les riverains des lignes et ORANGE.

 

Vous trouverez en pièces jointes deux dossiers que nous avons montés comme des études de cas et qui permettent de bien se rendre compte des conséquences fâcheuses des opérations déjà réalisées et qui montrent que la seule façon de travailler intelligemment est de le faire dans le calme, au cas par cas. Nous préparons aussi un dossier technique sur les problèmes de l'arbre et de la route.

 

Je pense que vous avez vu le reportage de France 3 Limousin sur les châtaigniers de Soudeilles. Tout est dit. Quel gâchis !

 

Nous sommes bien entendu prêts à venir vous rencontrer pour discuter plus en détail de tout cela.

 

En espérant, Mr le Préfet que vous ne resterez pas insensible à nos arguments, veuillez agréer l'expression de nos respectueuses salutations.

 

JP Louis Dubreuil

Ingénieur paysagiste, pour la SFA et le collectif des opposants à l'élagage généralisé des arbres des routes corréziennes.