Lettre à M. Nicolas Hulot,

Ministre d'État, Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire
Le 26 mars 2018


Monsieur le Ministre,
Le département de la Corrèze, pressenti par votre Secrétaire d’Etat, Monsieur Lecornu, pour expérimenter les Contrats de Transition Ecologique, est paradoxalement confronté, depuis le mois de septembre dernier, à une situation extrêmement préoccupante dont nous souhaiterions vous faire part.

 

Par décision de M. Coste, Président du Conseil Départemental , l ’ensemble du territoire est concerné par une opération sans précédent d’élagage ou d’abattage de tous les arbres dont les branches surplombent l’emprise des routes, talus compris . Les arguments avancés pour justifier ces actions sont la sécurité routière, la longévité des routes , la préservation des réseaux, et le développement durable par la valorisation énergétique des produits d’abattage (1).

 

Le projet ambitieux « Corrèze 100 % fibre en 2021 » engagé en 2017 par le Conseil Départemental est un argument utilisé par le Président pour exécuter, dans l ’urgence et la précipitation, une campagne d’abattage généralisée à tout le réseau routier départemental qu’il soit concerné ou non par la fibre. Des pressions sont également exercées sur les maires pour une extension aux routes communales et aux chemins ruraux (2). Au moment où votre ministère lance un appel à projet « Plan de paysage », il est à craindre que la Corrèze serve l’intérêt national en donnant un exemple spectaculaire de ce qu’il ne faut pas faire !

 

Les services du Conseil Départemental et M. Coste lui-même ont été questionnés sur l’influence de la couverture végétale sur la durabilité des chaussées (impact de la « goutte d’eau » tombant des arbres ). Aucun d’eux n’est en mesure de fournir un document
scientifique ou technique sur le sujet. M. Coste communique sur une augmentation attendue de 30% de la durée de vie des revêtements si l’élagage est réalisé. Ce « calcul » n’a aucun fondement. L’argument du développement durable est également erroné puisque la biomasse issue de l ’abattage le long des routes ne pourra par définition pas être renouvelée.

 

En septembre 2017, 28000 propriétaires ont reçu un courrier de M. Coste demandant, sur un ton autoritaire, l’élagage des arbres privés empiétant sur le domaine public et menaçant les récalcitrants d’une exécution d’office des travaux à leurs frais (voir document
joint). Beaucoup d’administrés , n’ayant aucune information sur le coût des travaux demandés, ont choisi d’abattre eux-mêmes leurs arbres, y compris de très beaux spécimens ou alignements, parfois même dans des sites classés . Profitant de la situation, certaines
entreprises d’exploitation forestière ont proposé leurs services et pratiqué des coupes irraisonnées laissant les bords de route dans un état pitoyable.

 

Interpellé par des associations, M. Coste a diffusé un deuxième courrier en décembre, puis un troisième en mars, montrant des contradictions et aberrations , aussi bien dans la méthode d’élagage préconisée que dans la définition des emprises . Mais les menaces sont toujours d’actualité et les abattages se poursuivent massivement. Des maires s’affichent contre le projet, mais d’autres, allant au-delà des directives, vont jusqu’à ordonner des élagages et coupes en bordure de GR !
Au-delà de la pression financière imposée aux 28000 riverains (pour ne parler que du réseau départemental ), vous pouvez bien évidemment imaginer les conséquences techniques, écologiques, paysagères, patrimoniales et touristiques de l ’opération ; il nous est impossible de les détailler dans cette lettre. Certains membres du collectif ont fait un travail remarquable sur ces aspects ; un dossier très conséquent a été constitué, que nous tenons à votre disposition.


Face à la tournure des événements, seul un moratoire pourrait apaiser les esprits et permettre d’engager un travail dans la durée impliquant tous les acteurs concernés . Concernant le projet fibre attendu pour les zones rurales, des études au cas par cas
pourraient être envisagées, comme le font habituellement les gestionnaires de réseaux compétents dans les autres départements. C’est ce qui a été demandé à M. Coste, mais celui-ci reste sur sa position dogmatique et refuse toute discussion.
Comme l ’a très justement remarqué votre Secrétaire d’Etat, La Corrèze est effectivement un département où de nombreuses initiatives innovantes voient le jour, qui n’opposent pas ruralité et développement, mais utilisent au contraire la première comme un
moteur du deuxième. Ses habitants , très attachés à leur « Pays vert », ont toujours été favorables au progrès, mais pas à n’importe quel prix. Les décisions autoritaires et d’un autre temps de son président actuel ruinent toute cette dynamique.

 

Nous vous invitons à venir vous rendre compte sur place de l ’ampleur des dégâts .
Vous pourriez rencontrer les représentants des collectifs et associations qui se mobilisent pour préserver ce qui peut encore l ’être, et aussi échanger avec les Conseillers Départementaux. Avec votre soutien, ces derniers pourraient inciter leur Président, récemment promu au grade de Chevalier au titre du ministère de la Transition écologique et solidaire, à agir pour le département avec un discernement à la hauteur de cette distinction.


En espérant que vous ne resterez pas insensible à nos arguments, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l 'expression de nos respectueuses salutations .

 

- Les 24850 signataires de la pétition lancée par le collectif DEARLIM le 27 janvier 2018
- Le collectif AGIRR
- Le collectif DEARLIM
- Le collectif CRRAC
- La Société Française d’Arboriculture
- Maisons Paysannes de la Corrèze, délégation de Maisons Paysannes de France
- La Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France
- Association A.R.B.R.E.S

 

Copie à:

Mmes et Mrs les députés de la commission Développement durable, à M. le Préfet de la Corrèze, à Mmes et Mrs les maires de Corrèze, aux médias .

 

Pièces jointes :
- Lettres du Président du Conseil Départemental de Corrèze à 28000 propriétaires
- Pétition créée le 27 janvier 2018 par le collectif DEARLIM avec ses 2800 commentaires
- Dossier technique de la Société Française d’Arboriculture
- Panorama de presse du 11 septembre 2017 au 24 mars 2018
- Lettres de collectifs ou de particuliers envoyées à M. le Président du CD et autres instances
- Intervention de la cellule juridique de Corrèze Environnement le 20 mars 2018
- Guide méthodologique de l ’élagage – document du CD à l ’attention des maires